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Entre l’art et le luxe, une passion féconde

Entre l’art et le luxe, une passion féconde

COLLABORATIONS ENTRE LES ARTISTES CONTEMPORAINS QUI RÉINVENTENT LES CLASSIQUES DES MAISONS DE LUXE, BOUTIQUES À VOCATION MUSÉALE… UN DIALOGUE ÉTROIT SE NOUE ENTRE LES ARTISTES ET LES COUTURIERS, TENDANT À EFFACER LES FRONTIÈRES ENTRE LES DEUX DISCIPLINES.

Yayoi Kusama est partout. La star si secrète de l’art contemporain a surgi dans l’espace public à l’occasion de la seconde collaboration qu’elle a imaginée avec Louis Vuitton. À Paris, cette créature surnaturelle a recouvert de son corps le bâtiment de la célèbre griffe sur les Champs-Élysées, semblant surveiller l’avenue et les humains de son regard fixe. Elle se dresse également face au siège de la maison rue du Pont Neuf, tel un gardien totem. Dans une vitrine de la boutique Louis Vuitton place Vendôme, elle (un robot avait pris l’apparence de l’artiste) scrutait les passants de son regard mobile. Et les fameux pois de l’artiste japonaise, symboles d’infinité, habillent échoppes et grands magasins à travers le monde. Son omniprésence interroge : de quelle manière art et mode sont-ils liés  ? Il semble que l’histoire d’amour entre ces deux univers soit de plus en plus intense depuis quelques années. Pour donner plus d’âme à leurs sacs, leurs objets nomades, leurs lignes de vêtements ou leurs collections de chaussures, de nombreuses griffes collaborent avec des personnalités du monde de l’art.

ART ET LUXE FABRICE LEONARD Entre l'art et le luxe, une passion féconde
Louis Vuitton

Ces dernières revisitent leurs modèles iconiques, nourrissant ainsi leurs légendes tout en donnant une image sophistiquée et prestigieuse aux marques. L’association entre l’artiste nippone et la maison au célèbre monogramme souligne les relations étroites qu’elle tisse avec l’art. Déjà, il y a plus d’un siècle, Gaston-Louis Vuitton, le petit-fils du fondateur, faisait appel à des artistes de son temps pour concevoir ses vitrines. Il y a presque deux décennies, le New-Yorkais Stephen Sprouse fut le premier à apposer des graffs sur les sacs iconiques Louis Vuitton. L’artiste Takashi Murakami imprima sa touche kawaii sur le monogramme historique. Je Koons détourna les chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art sur des cabas. Sans oublier la série de sacs à main imaginée par Richard Prince et la collaboration moins connue avec l’architecte star Zaha Hadid en 2006. Pour la collection ArtyCapucines, des plasticiens ont réinterprété le sac Capucines, modèle de prédilection de Brigitte Macron lancé en 2013, dont le nom est un hommage à la première adresse du malletier en 1854. Sam Falls, Jonas Wood, Urs Fischer ou encore Alex Israel ont transposé leurs univers sur du cuir. Ce dernier, dont le travail est nourri par le rêve californien, met en forme sa fameuse vague aux couleurs acidulées sur un Capucines paré d’une anse en plexiglass et d’ailerons de planche de surf. Autant d’occasions pour Louis Vuitton de repousser les limites de son savoir-faire en réalisant des broderies en 3D ou à la main, en incrustant de la nacre ou travaillant l’impression numérique sur du cuir.

De Picasso à Léonor Fini

Autre acteur du luxe qui a toujours tissé des liens avec les artistes, Dior. La maison de couture a imaginé le projet Dior Lady Art. Le principe est d’inviter des artistes à donner leur vision du Lady Dior, son sac iconique. Pour la septième édition, Dior convie une nouvelle fois des artistes contemporains comme Ghada Amer, Brian Calvin, Sara Cwynar, Alex Gardner, Shara Hughes ou encore Dorohy Iannone , donnant naissance à des « accessoires-œuvres d’art  » au design unique aussi surprenants que beaux. Cette démarche fait écho à la vie passée de Monsieur Dior. Cet authentique artiste dans l’âme fut galeriste avant d’embrasser la fabuleuse carrière de couturier que l’on connaît. Et côtoya les fameux maîtres des avant-gardes des années 1920 et 30 comme Max Ernst, Pablo Picasso, Joan Miró ou Raoul Dufy et des talents prometteurs et amis tels qu’Alberto Giacomeyyi, Alexander Calder, Christian Bérard ou encore Leonor Fini.

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Dior

Affinités nationales obligent, Delvaux embrasse l’univers du peintre Magritte avec une collection imaginée en partenariat avec la fondation Magritte. Sacs à main, petite maroquinerie et autres accessoires reprennent les éléments les plus emblématiques des œuvres de l’artiste, comme L’Homme au chapeau melon, Le Baiser ou encore La Promesse. Longchamp invite aussi régulièrement artistes et designers reconnus. On se souvient de la New Yorkaise Sarah Morris qui, pour célébrer le 20e  anniversaire de la marque, revisita son sac culte, le Pliage. La griffe fit également appel au studio star du designer japonais Nendo pour livrer une nouvelle version du sac le Pliage inspiré par l’origami qui reprenait scrupuleusement l’ADN du modèle : de la toile de nylon, du cuir de Russie, un rabat et la possibilité de le replier. Mais ces collaborations ne se limitent pas au cuir. Le textile inspire également les artistes. Le carré de soie est un des accessoires de prédilection d’Hermès. La maison a l’habitude de demander à des maîtres de la couleur de le réenchanter. Il y eut le peintre, lithographe et théoricien de la couleur, Josef Albers, Daniel Buren, Hiroshi Sugimoto et l’artiste argentin Julio Le Parc, figure majeure de l’art cinétique et optique. Des œuvres mobiles qui se portent et se vivent.

La joaillerie cisèle elle aussi les frontières entre l’art et l’artisanat. Tiffany & Co. fait régulièrement appel à des artistes de premier plan. Andy Warhol créa de nombreuses cartes de vœux pour la maison dans les années 1960. L’année dernière, la collection baptisée « Tiffany & Co. x Andy Warhol » dévoilait des assiettes en porcelaine, des cartes de vœux ou à jouer, des ornements en porcelaine ou en verre peints à la main décorés des dessins de l’artiste. Pour son second projet avec Tiffany & Co., le plasticien new-yorkais Daniel Arsham créa une série de 99 sculptures en bronze appelées « Bronze Eroded Tiany Padlock ». Ces œuvres mettent à la fois en lumière un design omniprésent dans les archives du joaillier (le cadenas) tout en prolongeant les travaux de l’artiste autour de l’esthétique «  Future Relics », qui recontextualise des objets contemporains à travers le prisme d’un futur imaginaire. Chacune de ces sculptures abrite une déclinaison en diamants et tsavorites du bracelet Lock, bijou central de la nouvelle collection de Tiffany & Co. On se souvient aussi de Curtis Kulig qui signa, pour la Saint-Valentin, une collection inspirée de son travail de graffeur. Cette tradition s’épanouit encore avec les calendriers de l’Avent. L’un d’eux prenait des allures de cabinet de curiosités. Sur les portes, se détachait une reproduction de l’œuvre Equals Pi, peinte par Jean-Michel Basquiat en 1982. 

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Tiffany & Co.

Un galeriste nommé Christian Dior 

Conséquence de ce flirt loin d’être éphémère : les boutiques des grands noms du luxe sont devenues de véritables galeries d’art où des œuvres anciennes et contemporaines voisinent avec les collections mode et accessoires. En 1960, la maison Dior décora son adresse du 30 avenue Montaigne d’œuvres de Claude et François-Xavier Lalanne. En 1988, Azzedine Alaïa demanda à son ami Julian Schnabel de réaliser une sculpture en bronze monumentale qui trônait au centre de sa première boutique à New York. À l’époque, personne ne mesurait encore pleinement la dimension muséale qui allait s’installer petit à petit dans les boutiques. Chez Saint Laurent, une vingtaine d’œuvres sont présentées tous les mois dans la boutique Rive Droite et maintenant dans celle de Los Angeles dans un esprit de plateforme culturelle. Anthony Vaccarello, le directeur artistique de la maison, en assure le commissariat. Depuis qu’il est à la tête de la création de Celine, Hedi Slimane a lancé de nombreuses passerelles entre la maison et le monde de l’art.

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Saint Laurent

Dans le cadre du Celine Art Project, à chaque nouvelle boutique est associé un petit musée d’art contemporain. Les œuvres d’un même artiste comme Virginia Overton, Oscar Tuazon ou David Nash sont dans les espaces de vente Celine à Londres, New York, Milan, Los Angeles ou encore Paris, orant à voir au public les différentes facettes de son travail. Chanel et Peter Marino, à qui la maison de couture confie l’architecture et la décoration de ses boutiques depuis une dizaine d’années, accordent une place de choix à l’art. L’architecte s’attache à faire découvrir et à mettre à l’honneur des artistes, notamment en commandant des œuvres spéciales en collaboration avec Chanel. Citons Jean-Michel Othoniel dont les sculptures composées de boules rappellent les perles d’un sautoir, un des accessoires signatures de l’allure Chanel, l’installation mobile de Gregor Hildebrandt ou encore le Coco Chandelier de Joel Morrison qui trône au pied de l’escalier de l’écrin de Chanel Horlogerie-Joaillerie. Au premier étage dans le salon privé de cet espace, trône une rare toile de Nicolas de Staël. Une « Composition  » parmi les 26 réalisées en 1950 et dont les 25 autres se trouvent dans les plus prestigieux musées à travers le monde. Le Bon Marché s’anime d’installations temporaires et monumentales. Depuis 2016, elles créent l’événement au cœur du grand magasin. On y a déjà vu Ai Weiwei, Prune Nourry, Joana Vasconcelos et récemment Subodh Gupta. Au hasard de la déambulation dans les allées du grand magasin fondé par Aristide Boucicault, on se rappelle de la citation d’Andy Warhol : « Un jour, tous les grands magasins deviendront des musées, et tous les musées deviendront des grands magasins.  » Nous étions en 1975. 

Article rédigé par Fabrice Léonard et paru dans le n’°4 d’OniriQ

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