L’hiver est là et nous avons troqué notre vin chaud en terrasse pour la galerie du 19M. Après avoir été présentée à Denver et Mexico, cette exposition, sous la direction de Florence Müller et une scénographie conçue par Pedro Reyes, est enrichie ici par l’ajout de pièces spécialement créées pour cette occasion. Carla Fernandez met en lumière les fructueuses collaborations entre les artisans partenaires au Mexique, ainsi que les Maisons Goossens, Massaro, Maison Michel et ERES, qui résident toutes au 19M. Le styliste favorise le dialogue entre les compétences d’hier et d’aujourd’hui, l’aspect pratique de l’objet et l’expression artistique abstraite. Un éclair de génie dont on salue le travail.
Carla Fernández défend une réinvention constante des gestes et des matériaux. En explorant la richesse du patrimoine mexicain, la créatrice découvre des approches techniques et esthétiques séculaires. L’exposition met en avant cinq paires de chaussures conçues en collaboration avec Massaro, un atelier de souliers sur-mesure au 19M, ainsi que la famille Nájera, spécialisée dans la création de masques Tecuán. Ces accessoires célèbrent le jaguar, un symbole puissant des pratiques culturelles mexicaines, un petit clin d’œil qui ne passe pas inaperçu entre l’homme et la nature sur cette terre.
Viva la fiesta
De la couleur pour incarner le Mexique ? Un pléonasme évidemment puisque Carla Fernández explore les fêtes traditionnelles à travers une collection mettant en avant les masques en cartonería, souvent utilisés lors du Día de Muertos. Cette séquence présente des masques de Leonardo Linares et trois paires de lunettes conçues par Carla Fernández et Goossens. Les lunettes symbolisent la révélation et la dissimulation des sens, faisant référence à l’œuvre du sculpteur Pedro Reyes, mari de la créatrice. Elles dialoguent avec les milagritos, ex-votos utilisés comme offrandes ou reconnaissances, grâce au travail d’orfèvrerie des ateliers Goossens. Cette connexion entre mode et traditions est célébrée dans une installation monumentale à l’entrée de l’exposition au 19M.
“Pour nous, il était très enthousiasmant de travailler avec des artisans d’autres régions du monde, surtout avec des artisans qui possèdent autant d’expérience que ceux des Maisons d’art du 19M. Rien ne nous rend plus heureux que d’apprendre, mais aussi de pouvoir partager nos expériences et nos connaissances. Le contraste est évident. Je suis sûre que nous allons générer de nouvelles pistes de recherche et de travail, car dans mon pays, les artisans travaillent généralement chez eux et avec des procédés manuels.” – Carla Fernandez.
La charrería, une tradition équestre avec des racines d’Afrique du Nord à l’Espagne et au Mexique, est un élément clé de l’identité mexicaine depuis la colonisation. Carla Fernández Casa de Moda a intégré la figure du charro dans plusieurs de ses collections entre 2009 et 2021, et lui dédie une installation monumentale dans cette exposition. Les applications de cuirs découpés et les chapeaux des cavaliers, interprétés par Carla Fernández en collaboration avec Maison Michel ajoutent un style très chic aux créations. Des coupes pensées modernes et deux histoires qui se rejoignent dans la force et la précision.
Ensuite, nous retrouvons la nature comme source d’inspiration et de matières premières, allant du coton aux teintures végétales et minérales pour transformer ces créations. Carla Fernández a compilé une archive de vêtements autochtones, documentant ainsi les diverses cosmologies et l’histoire textile mexicaine.
La mode comme porte-voix de la justice sociale
Carla Fernández voit la mode comme un moyen puissant d’exprimer son engagement pour la justice sociale, ce qui lui a valu le prix Prince Claus en 2013 pour son impact positif sur les communautés. À travers les choix de vêtements et leur manière de les porter, elle donne une voix silencieuse mais subversive aux identités et points de vue. Son activisme en faveur des droits des femmes et des immigrés se défend à travers des performances artistiques et par l’utilisation du textile comme support de ses revendications, notamment avec le huipil, une tunique aux formes géométriques caractéristiques des tenues autochtones. Cette pièce est devenue un moyen d’afficher des slogans et des messages militants.
Le travail collaboratif avec l’artiste Isaías Salgado del Pilar, un spécialiste des enseignes peintes à la main, démontre l’engagement de la créatrice en faveur de la préservation des traditions artisanales mexicaines en danger. Si la leçon valait la peine d’être retenue, nous avons aussi apprécié la pratique avec un atelier broderie. Un moment réconfortant, de partage et très chaleureux après l’exposition.
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